Quelle déception! De quelle autre fa?on pourrait-on juger un film mal-écrit et mal-joué, alors même que la qualité du tournage reste mitigée ?
Une question centrale se pose d’elle-même : est-ce que les précédents succès de Gaspar Noé avec des non-pros du cinéma ont-ils gonflé outre-mesure la confiance du réalisateur quant au potentiel d’outsiders & d’amateurs? Leur performance laisse sacrément à désirer… Les dialogues à deux sous qu’ils récitent, banals et superficiels, ne font pas leur apparition pour la première fois chez Noé: mais l'absence d'intérêt des conversations en soi était contrebalancée par l'immersion hyper-réaliste du spectateur, par la création d'une atmosphère palpable & intime, par le rétrécissement de la distance inhérente au médium. Ici, futilité et puérilité ne font que s'ajouter au vide d'ensemble, et pourraient même être taxés de laxisme, puisque souvent filmés en plans fixes (interviews sur cassette en début, commérages infinis de soirée mettant en avant jalousie ou excès de confiance).
Le script est d'une pauvreté et d'une faiblesse difficilement acceptables. Celui-ci repose d’ailleurs sur un événement précis (l’ajout d’un ingrédient inattendu dans la sangria) qui déclenche un virage vers la moitié du film (largement prévisible). Mais le réalisateur ne montre pas cet événement, alors qu’il aurait pu catalyser le développement et se proposer comme moment majeur du film. L’une des facheuses conséquences est que l’on doute pendant un instant que cet événement même se soit produit – mais peut-être est-ce là la volonté du scénariste ? La méconnaissance du coupable et de son acte n'est en définitive qu'un prétexte pour un bad trip collectif et l'accusation abusive que subissent certains personnages. A aucun moment celle-ci ne devient un mystère qui crée du suspens pour le spectateur, ni même la volonté de celui-ci de découvrir le conspirateur. Les spectateurs avertis (qui savent que la LSD s’administre aussi par gouttes directement dans les yeux) comprendront qui est le coupable dans la dernière scène du film. Malheureusement, cette révélation n’a aucun intérêt ; et le film aurait très bien se terminer sans que l’on sache qui est le coupable. L’on pourrait aller même jusqu’à dire que vu la direction prise par le réalisateur, il aurait peut-être été judicieux de ne jamais le savoir (et donc ainsi de garder un doute sur le fait même que le dérapage soit d? à la prise inconsciente d’une drogue – les hommes étant responsables de leurs actions, peu importe leurs consommations, et comme dirait l’autre : l’illusion plus vraie que la réalité).
L'utilisation des techniques cinématographiques qui font l'identité du réalisateur est à nouveau présente mais celles-ci n'ajoutent pas toujours une certaine valeur à des plans qui auraient été filmés plus conventionnellement. Alors qu'elles étaient justifiés par le scénario ou par l'ambiance dans ses films précédents, elles semblent redondantes ici (flashs de lumière dans le noir, tournoiements). Certaines bonnes idées sauvent certaines séquences, comme celui du plan sur le verre, qui introduit par l'image le dérapage que le mot n'a pas encore exprimé ; ou les plans overhead durant les moments de danse, avec une chorégraphie qui semble spécialement travaillée pour un tel rendu.
Au final, les seuls moments d’innovation et de plaisir visuels sont bien ceux-ci, ceux de la danse sensuelle et virevoltante, au-delà des conventions sociales et des cadres figés dans sa pratique professionnelle. La danse est ici presque libertarienne, ou du moins libératrice, inclusive et jouissive. Il est à déplorer qu’il n’y en ait pas eu davantage. Climax aurait pu être à la danse ce que Love a été au sexe. Etant donné les nombreuses prises d’oiseau, il aurait peut-être même été possible d’avoir des doubles pour la danse (ou l’inverse ! le casting étant bien plus danseur qu’acteur !), et donc de s’offrir de vrais acteurs pour le reste.
En ce qui concerne le message… y en a-t-il déjà eu chez Gaspar Noé ? Quelques slogans pseudo-politico-poétiques en lettres majuscules nous sont jetés en pleine figure sans effleurer le moindre début de réflexion. Et il en est de même du drapeau ou des quelques bribes placés ici et là dans les conversations. Nous ne sommes pas dupes : Gaspar Noé est un amateur de débauches en tous genres, il est aussi fasciné par les développements cauchemardesques qui surviennent comme autant de catastrophes humaines, et ses films reflètent fidèlement ses fantasmes. Pour détourner le philosophe, on pourrait conclure que de même que tous les réalisateurs ne se valent pas, tous les fantasmes non plus. Celui-ci ne méritait pas peut-être d’être filmé.